« Soyez un héros ». Avec un tel slogan,
GoPro fait peu de mystère d?une stratégie marketing qui place l?utilisateur final
au c?ur de toutes les attentions. Lancée en 2002 à San Mateo, en Californie,
l?entreprise de Nick Woodman connaît
depuis lors un succès vertigineux qui ne
doit rien au hasard. Pourtant, à l?heure
de la convergence totale des appareils
portables (les smartphones ont remplacé l?appareil photo, la caméra, le GPS,
le lecteur mp3, l?agenda, le cardio-
fréquencemètre, le dictaphone, la calculatrice, etc.), qui aurait parié le moindre
centime sur la réussite d?un fabricant qui
construit des caméras qui ne font rien
d?autre que? filmer ?
Tout-terrain
GoPro est à la caméra ce que Jeep
est à l?automobile : un modèle robuste, résistant aux chocs, ultra
maniable et qui se faufile partout.
Ajoutez à ces caractéristiques
l?étanchéité et vous aurez isément
a
compris quelle est la cible de ces
caméras miniatures : les sportifs
de l?extrême. Equipées d?une ceinture
qui leur permet de s?agripper à peu près
partout, les caméras GoPro ont immédiatement séduit les amateurs de surf,
de parachutisme, de VTT, de ski, de
saut à l?élastique, de rafting, etc. L?appareil, peu encombrant, se fixe en effet
sans effort sur un casque ou un guidon
pour capturer des images dans le feu de
l
?action.
Les succès commerciaux et financiers
sont au rendez-vous : en 2013, GoPro
a enregistré un chiffre d?affaires de
985 millions de dollars (en progression de 87% par rapport à 2012) et a
doublé son bénéfice net à 60 millions
de dollars. En juin dernier, l?entreprise faisait une entrée en Bourse
fracassante : alors que l?objectif
initial était de lever 100 millions de
d
ollars, l?opération en a rapporté
427 ! L?entreprise est ainsi valorisée à
2,95 milliards de dollars. Pour un fabricant d?appareils électroniques, c?est tout
simplement l?entrée en Bourse la plus
retentissante des 20 dernières nnées.
a
Clés du succès
Dès les débuts du produit, GoPro a
misé sur ses utilisateurs. Une centaine
de sportifs « de l?extrême » ont reçu
g
ratuitement l?une de ces caméras et
ont été invités à poster leurs réalisations
sur les réseaux sociaux. Le buzz a fait
le reste. S?il fallait visionner toutes les
vidéos filmées à l?aide d?une GoPro et
publiées sur le net, il faudrait près de 3
années? uniquement pour le contenu
posté en 2013. Sur le premier trimestre
2014, le temps de visionnage cumulé de toutes les vidéos comportant le
terme GoPro dans leur description s?est
élevé à 50 millions d?heures? soit autant de publicités pour le produit postées par les utilisateurs eux-mêmes, et
pour lesquelles la marque n?a pas dû
débourser le moindre euro. Car c?est
bien là qu?il faut chercher l?explication
d?un tel succès : grâce aux réseaux
sociaux, chaque utilisateur devient
un ambassadeur de la marque. Plus
que la caméra embarquée en tant que
telle, ce sont les contenus produits par
celle-ci qui suscitent l?enthousiasme et
deviennent le meilleur argument marketing. Plus que jamais, l?utilisateur
et le produit ne font plus qu?un. Si
vous croisez un individu dans la rue
équipé d?une GoPro, c?est sa façon à lui
de signaler au monde qui ?entoure qu?il
l
se prépare à réaliser une performance
spectaculaire et hors du commun.
Diversifier les revenus
Malgré des chiffres qui donnent le
tournis, l?avenir de GoPro n?est pas
aussi clément qu?il n?y paraît. De
leur propre aveu, les dirigeants de
l?entreprise reconnaissent qu?un tel
rythme de croissance sera difficile à
tenir. Les premiers signes d?essoufflement se sont d?ailleurs déjà fait ressentir. Si le chiffre d?affaires a crû de 87%
en 2013, l?augmentation était de 115%
un an plus tôt. De même, le bénéfice
net enregistré au premier trimestre 2013
n?a atteint « que » 11 millions de dollars,
contre 23 millions un an plus tôt. Il faut
dire que la concurrence fourbit ses
armes : Sony ou Kodak ont pour leur
part développé leurs propres caméras tout-terrain et entendent bien
r
éclamer leur part du gâteau.
Pour s?assurer un avenir plus serein, oPro se positionne désormais
G
comme un média à part entière.
L?entreprise ne se contente plus de
vendre du matériel : elle va désormais fournir à ses clients des services qui permettront de rolonger
p
l
?expérience GoPro jusqu?à la
p
ublication des contenus. Une plateforme d?édition et de partage des vidéos
est ainsi à l?étude. Mais pas question
pour autant de vouloir réinventer YouTube, DailyMotion ou Instagram. GoPro
e
ntend miser sur les canaux existants,
déjà bien intégrés dans un marché
proche de la saturation. De même, la
marque
répète sans cesse qu?elle ne
compte pas concurrencer les smartphones, mais se positionne comme un
complément des téléphones intelligents.
Une application dédiée permet d?ailleurs
de piloter sa caméra à distance, depuis
son téléphone.
Des accords ont été passés avec Xbox
Live (qui accueillera prochainement
une chaîne GoPro) et Virgin America.
Une centaine de célébrités, dont le
snowboarder Shaun White et le surfeur
Kelly Slater, ont conclu des partenariats avec la marque. Objectif avoué :
engranger dès 2015 de nouvelles
sources de rentrées, grâce aux revenus publicitaires que peuvent
rapporter les contenus publiés sur
ces plates-formes. La boucle serait
ainsi bouclée pour GoPro. La marque
est d?abord parvenue à transformer
chaque contenu publié par ses utilisateurs en spots publicitaires pour ses
propres produits. Désormais, elle utilisera ces mêmes contenus pour engranger
des revenus supplémentaires. C?est ce
qu?on appelle un coup de génie.
Controverse
Le succès des GoPro amène également les sociologues à s?interroger sur cette nouvelle tendance
qui consiste à vouloir se filmer ou
se photographier sous tous les
angles et dans n?importe quelle
situation. Le slogan de GoPro
« Soyez un héros » prend d?ailleurs
un goût amer lorsque l?on sait que
cette caméra embarquée figurait
dans l?attirail d?Anders Breïvik, de
Mohammed Merah ou de Mehdi
Nemmouche, l?auteur présumé de
l?attentat contre le Musée Juif de
Bruxelles. La caméra embarquée
filme tous les exploits? même les
plus crapuleux.
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